Redécouverte par une jeune génération de
consommateurs en Chine, l'ancienne tradition du thé chinois se voit insuffler
un nouveau souffle.
Le magasin propose une gamme de thés aux saveurs variées.
Les longues files de jeunes habillés à la
dernière mode forment depuis longtemps une partie intégrante du paysage du
centre commercial de Taikoo Li de Sanlitun, à l'est de Beijing. C'est ici que
la jeunesse de la capitale chinoise, toujours à l'avant-garde des modes de
consommation, attend de pouvoir mettre la main sur le dernier item en vogue. Or,
ces dernières semaines, l'objet de leur convoitise n'est pas un vêtement de
marque ou le dernier téléphone, mais le plus traditionnel des produits chinois
: le thé.
Le thé ? Oui, mais pas n'importe lequel ! Il s'agit en fait de versions
revisitées et réinventées de cette boisson millénaire et lourde de symboles en
Chine. Devant le magasin de Heytea, des jeunes, le visage fixé sur leur
portable, attendent parfois pendant plus d'une heure pour pouvoir mettre la
main sur le dernier produit phare de cette chaîne : le thé au fromage.
« Le fromage ajoute une sensation onctueuse et légèrement salée qui se
marie parfaitement bien avec le thé vert, qui lui est légèrement sucré. C'est
une innovation très intéressante d'un produit plutôt banal », me dit Li
Yanjuan, une jeune étudiante qui fait la file derrière moi. Il s'agit de sa
troisième visite dans cette chaîne de boissons qui est devenue l'une des
boutiques les plus achalandées du centre commercial.
Après avoir passé une commande rapide, j'attends un court moment avant
de recevoir, à mon tour, ce nectar tant convoité. Le thé au fromage se présente
dans un verre transparent grand format, et se vend autour de 30 yuans (autour
de 4 euros). Le verre contient une base de thé vert surmontée d'une généreuse
couche de fromage à la crème légèrement salé. Le mélange a un goût surprenant,
et contre toute attente, pas désagréable du tout.
Les
boissons bien préparées
Un
service efficace, un personnel dévoué, une file d'attente permanente à
l'extérieur du magasin : tout cela fait partie du branding de Heytea : donner à
ces jeunes clients l'impression d'avoir accès à une expérience exclusive. Et ça
marche : selon les chiffres de la société, Heytea vend en moyenne 2 000 verres
de thé par jour dans chacun de ces 50 magasins à travers le pays.
Et
elle est loin d'être la seule société à faire fructifier le thé. On peut voir
des files semblables dans toutes les grandes villes et devant des enseignes
différentes. Que ce soit dans les magasins du thé Naixue, une chaîne prisée de
la ville de Shenzhen, au sud de la Chine, ou chez un géant comme Gong Cha, qui
compte 1 500 magasins en Chine, toute une génération de jeunes consommateurs
chinois redécouvrent le thé.
Nouveau branding pour les
milléniaux
Poussé
par une soif d'en savoir plus sur cette industrie, je poursuis ma route vers un
autre établissement devenu lui aussi la coqueluche des amateurs de thé glacé :
Yi Dian Dian. Ici, le thé se vend relativement moins cher, à savoir entre 8 et
21 yuans (entre 1 et 2,6 euros). La chaîne offre aussi une large gamme de
recettes toutes plus étonnantes les unes des autres, allant du « thé noir à la
crème glacée » au « thé latté au caramel ».
Bien que ces boissons soient
sans doute trop sucrées au goût de certains, la recette fait effet ici aussi.
Et non sans raison : un test de dégustation à l'aveugle réalisé en mai dernier
par la société Footopia à Shanghai a déterminé que Yi Dian Dian arrivait en
tête parmi 19 différentes marques émergentes de thé.
La Chine reste très
majoritairement un pays de buveurs de thé. Cependant, le café est de plus en
plus vu comme un signe de prestige et d'appartenance à une classe urbaine
sophistiquée, notamment chez les jeunes. Il n'est pas étonnant donc de voir que
ces nouvelles chaînes de thé ont toutes en commun une volonté de «
déringardiser » leur produit. Dans ces « maisons de thé » dernier cri et
résolument modernes, la plante n'est plus vue comme une boisson ennuyante ou
dépassée, mais plutôt comme un cocktail jeune, délicieux, urbain et
avant-gardiste.
Le marketing viral et les
réseaux sociaux ont d'ailleurs joué un rôle crucial dans l'émergence de ces
nouveaux produits. Une fois l'objet de leur convoitise en main, les jeunes
clients de Heytea et de Yi Dian Dian se hâtent d'ailleurs de publiciser leurs
achats en diffusant un nombre impressionnant d'égo-portraits sur leurs réseaux
sociaux.
« Le thé aux bulles s'est
répandu comme une traînée de poudre en Chine grâce à un modèle de franchise
caractérisé par des coûts peu élevés, des recettes faciles à reproduire et une
population qui préfère le thé au café », pouvait-on lire dans un rapport de la
société de conseils américaine Orbis Research sur l'industrie du thé en Chine.
Innover dans la tradition
De
fait, le thé au fromage si prisé n'est que le dernier d'une série de produits
de thé qui ont déferlé sur la Chine au cours des dix dernières années. On peut
faire remonter cet engouement pour le thé à Taiwan, où est né le « thé aux
bulles » dans les années 1990.
Servi dans un grand verre au
fond duquel on trouve des grosses perles de tapioca moelleuses, ce thé crémeux
et sucré est bu à l'aide d'une large paille. La recette de base a subi nombre
d'innovations au cours des années, en ajoutant des fruits, du pudding de crème
anglaise, des boulettes de patates douces, etc., prouvant une fois de plus que
tous les goûts sont dans la nature. Ayant pris d'assaut la Chine, et rapidement
le reste du monde, le thé aux bulles a ouvert la porte à la vague actuelle de
nouveaux produits.
« Les jeunes veulent
volontiers essayer de nouvelles choses, ils préfèrent des boissons froides et
la fraîcheur, nous avons donc tenté de satisfaire à leurs demandes, explique
Nie Yunchen, qui a créé Heytea en 2012 dans la province du Guangdong. Nous voulons
offrir des expériences qui émerveilleront nos consommateurs. » Si l'on en juge
par les queues interminables qui se forment dès le matin devant les franchises
de Heytea, il a en effet misé dans le mille.
*FRANÇOIS DUBE est un journaliste canadien
basé à Beijing.